Interview de Béatrice de Lavalette sur Radio Orient le 12.07.2024

Votre interprétation des résultats ?
Avant toute chose, je voudrais rappeler que j’ai toujours placé le dialogue social au cœur de tous mes engagements (initiés avec Gilles de Robien et la loi incitant à réduire par accords d’entreprise le temps de travail), au cœur de mon action et de la politique que j’ai conduite à la Vice-Présidence de la région Ile-de-France ainsi qu’à Suresnes. Je l’ai fait et je l’ai démontré avec une cinquantaine d’accords signés parce que j’étais convaincue que c’était un fantastique levier de croissance et de compétitivité économique, de progrès social et d’amélioration de qualité du service public comme c’est le cas dans de nombreux pays qui ont fait du dialogue social un indicateur de performance économique.
Et c’est évidemment à l’aune de ces engagements que je viens vous faire part de mes analyses. Pour moi, la situation très difficile dans laquelle se trouve le pays, proche de la paralysie avec une situation politique, économique très inquiétante, un climat social explosif, s’inscrit dans une chronique malheureusement redoutée mais annoncée. Avant les élections européennes et la dissolution, l’année 2024 avait déjà commencé dans un contexte particulier, celui d’un pays quasi paralysé par le conflit agricole, marqué par l’attentisme, un dialogue social au niveau national atone, un lot de réformes impopulaires, des Français exaspérés et des problématiques récurrentes liées notamment au pouvoir d’achat, au déclassement, avec un risque grandissant de colères qui s’agrègent et de luttes qui convergent, (comme certains l’appellent de leurs vœux).
Les résultats interviennent dans un contexte dont il faut bien parler, celui d’une dette publique qui s’établissait à la fin du 1er trimestre 2024 à 3160 mds d’€ (soit près de 111% du PIB) générant des inquiétudes dans les milieux patronaux et des menaces de dégradation de notre note souveraine de la part des agences de notation (l’agence de notation américaine Standard and Poors a ramené de AA à AA − la note de la dette française le mois dernier). Des prix de l’énergie qui augmentent, les supers profits engendrés par certains et les revendications salariales demandées par d’autres.
Dans ce contexte, ces résultats reflètent le rejet, le décalage, la fracture sociale et territoriale de notre pays et dont nous avons perçu des signes avant-coureurs depuis de nombreuses années. Je me souviens avoir notamment ouvert mes Rencontres annuelles du Dialogue Social en 2019 dans le contexte d’une année sociale très mouvementée, avec la crise des gilets jaunes, le grand débat national, les réformes annoncées des retraites et de l’assurance chômage.
Le mouvement des gilets jaunes que l’on a trop vite oublié, incarnait une FRACTURE SOCIALE, ECONOMIQUE et TERRITORIALE, entre une France des métropoles plus aisée, mondialisée et bien intégrée dans le marché du travail et une France périphérique et rurale qui se sent mise à l’écart des grandes transformations du pays, avec des services publics, des hôpitaux en berne. Il faut aller voir sur place la situation des déserts médicaux, les centres villes délaissés avec un sentiment ou une réalité d’insécurité en hausse. Tout cela révèle une crise du « lien social » profonde dans les zones rurales, et nous l’avons vu avec les résultats des européennes et du 1er tour des législatives qui marquent un rejet de la politique pratiquée ces dernières années. Ces résultats illustrent aussi l’inquiétude, une absence de perspectives, même de la colère pour certains et une profonde aspiration au changement.
Cette France là, je veux le dire très clairement, il ne faut pas la mépriser, la regarder de haut, mais au contraire l’écouter, la comprendre et la rassurer en apportant des réponses rapides et concrètes à leurs préoccupations. Beaucoup de ces Gilets jaunes historiques – soutenus par une majorité des Français – se sont engagés dans ces mouvements (et n’avaient pas manifesté) et ont eu le sentiment profond de ne pas être écoutés, ni respectés par le gouvernement.
Et je ne le redirai jamais assez, SANS ECOUTE NI RESPECT, il ne peut y avoir de dialogue social de qualité, durable, apaisé et constructif au service de notre croissance et de l’emploi.
En février 2022, je publiais une tribune intitulée « Dialogue Social, angle mort de la campagne présidentielle », dans laquelle je mettais l’accent sur une dure réalité, réalité qui s’est accentuée avec la réforme des retraites et qui a laissé des traces très profondes chez les Français. Je dénonçais cette triste réalité qui s’imposait au détriment de la cohésion sociale, de la compétitivité de notre pays et j’écrivais que « les partenaires sociaux avaient été les grands perdants du quinquennat ». Pourtant les enjeux économiques auxquels notre pays doit faire face ne manquent pas depuis plusieurs années avec ce taux d’endettement très inquiétant, la question du pouvoir d’achat et la redistribution des richesses, la dégradation de notre compétitivité, le déclassement. On n’a pas pris la mesure de l’importance cruciale des partenaires sociaux dans notre stratégie de relance. Le mal français qui dure depuis des décennies, s’est encore accentué ces dernières années.
Ces résultats sont le reflet d’une France qui se clive fortement, qui se fracture et qui a le sentiment de ne pas être écoutée et entendue et notamment dont les corps intermédiaires, les syndicats ont été cantonnés, affaiblis alors même qu’ils jouent un rôle essentiel de régulateur, permettant de rétablir le rapport de force, ils permettent de structurer et de canaliser les revendications, de négocier des compromis.
Comment sortir de l’impasse politique ?
Les Institutions de la Ve République, je le rappelle, ont été mis en place en réaction à l’instabilité de la IVe République (24 gouvernements en 12 ans) et pour assurer la stabilité institutionnelle avec un certain nombre de garde-fous, en instaurant le fait majoritaire (en abandonnant la proportionnalité), en instaurant un scrutin majoritaire à deux tours et un certain nombre d’articles dans la Constitution (articles 44, 49, vote bloqué..), assurant le parlementarisme rationnalisé, tout cela encore renforcé par l’élection du Président au suffrage universel.
Malgré tout aujourd’hui, on a le sentiment d’un retour à la IVe République même si les Institutions de la Ve demeurent. Aucune majorité absolue, des coalitions qui à ce stade semblent rejetées tant par la gauche que par les Républicains. Pour les Français : une absence totale de perspectives et une grande inquiétude, si ce n’est pas la paralysie dans les milieux économiques et patronaux. La situation doit se clarifier. Aucun gouvernement ne serait à l’abri d’une censure sauf si une coalition rassemblait une majorité absolue de députés, ce qui reste impossible avec le nombre de députés du Front Populaire et du RN. Et l’Assemblée ne pourra pas être dissoute avant un an. Reste à envisager un gouvernement dit de techniciens avec une personnalité reconnue, consensuelle en dehors de l’Assemblée nationale, des majorités de circonstances, d’idées en fonction de textes et qui ne survivraient que tant que ni le RN, ni le Front Populaire ne joindraient pas leurs voix dans une motion de censure.
Sur le fond, je pense qu’il faudrait vraiment tirer tous les enseignements de ces dernières années, de ces crises successives, de la mise à l’écart et de l’affaiblissement des syndicats et des conséquences de ce dialogue social atone.
Mais j’ose dire que le dialogue social n’est pas un fardeau du passé mais qu’il est l’espoir pour notre avenir, qu’il n’est pas une option que l’on peut balayer d’un revers de main mais une nécessité absolue et vertueuse au service de l’emploi, de la productivité et du progrès social. Un véritable « carburant de notre économie » comme le qualifiait Louis Gallois, grand capitaine d’industrie, qui expliquait le lien entre qualité du dialogue social, croissance et compétitivité, comme je l’ai moi-même démontré dans un rapport à l’issue d’une mission dans les pays d’Europe du nord en tant que vice-président de la Région Ile-de-France.
Si le dialogue social a été revivifié à l’échelle de l’entreprise, ces avancées ne peuvent masquer la tendance de fond à l’échelle nationale qui montre d’année en année un affaiblissement dangereux du pouvoir des partenaires sociaux. On ne peut gouverner à coups de 49.3 contre la volonté de la totalité des syndicats et celle d’une majorité de Français. Nos compatriotes ne le veulent plus, ils ne l’ont pas oublié et l’ont fait savoir. Plus que jamais, dans le contexte actuel, nous avons besoin de replacer le dialogue social riche et constructif au cœur de nos politiques. J’espère que tout le monde va prendre conscience que nous n’avons pas d’autres choix.
Le prochain gouvernement doit-il davantage respecter les corps intermédiaires ?
J’ai expliqué comment la crise des « gilets jaunes » avait mise en lumière le contournement ou la remise en cause des corps intermédiaires et combien le peu de confiance des Français dans les syndicats est préoccupant (selon un sondage de Ipsos pour le Cevipof en 2022, 63% des Français déclarent ne pas avoir confiance dans les syndicats et 43% que les syndicats sont un élément de blocage).
En même temps, de façon contradictoire et paradoxal, ils se disent majoritairement attachés au dialogue social et à la négociation est à 7 % (selon l’IFOP en 2024) ont une bonne image de leur CSE.
Si le gouvernement n’est pas convaincu du rôle essentiel et de la place centrale des partenaires sociaux, de l’importance d’avoir des syndicats forts et représentatifs (comme en Europe du Nord) pour canaliser les mécontentements de ceux qui se sentent floués, pas entendu, il prend de grands risques. Les organisations syndicales ont été les grandes oubliées de la crise des gilets jaunes et du grand débat national mis en place par le gouvernement. Ces organisations ont été ignorées par le gouvernement et par les manifestants en 2018 et 2019, incarnation d’une défense de l’exécutif et de l’opinion publique pour les corps intermédiaires.
Dans ce contexte, il semblait en effet plus facile pour l’exécutif de ne pas entendre le front syndical, fût-il uni, mobilisé contre des réformes impopulaires. Comment ne pas comprendre que c’est toute notre économie qui a terme, pâtit de ce dialogue social en panne et qui génère, conflits après conflits des pertes par millions. Qui sont traditionnellement les structures les plus à même d’encadrer les débats, de hiérarchiser les revendications, de les relayer auprès du gouvernement ? Ce sont les syndicats !
Comment ne pas comprendre qu’à la logique de la confrontation et des conflits, il faut répondre par un dialogue social apaisé et constructif et une main tendue aux syndicats. Laisser croire en les ignorant que les syndicats ne servent à rien et appartiennent à une caste avec les médias et les élus, déconnectés des réalités de terrain est très dangereux et bien loin de la situation que connaissent nos voisins d’Europe du Nord ou au contraire, gouvernements et patronat souhaitent des syndicats forts et représentatifs.
Lors des rencontres que j’organise chaque année depuis 10 ans et qui sont devenus un rendez-vous incontournable du paysage social français, point de rencontre les principaux acteurs politiques sociaux économiques français et étrangers, un message fort et unanime délivré par les présidents des organisations patronales, les secrétaires généraux et le président de quatre syndicats, de plusieurs anciens ministres, d’économistes, de PDG, de DRH, d’avocats, d’experts en relations sociales : Ils ont insisté sur la nécessité de réhabiliter sur le plan national les partenaires sociaux, tant les dernières réformes, retraite et assurance chômage notamment, ont montré que même un front uni ne permettait pas de se faire entendre de l’exécutif.
Plus que jamais, après les élections européennes et législatives, tous nos intervenants de renom ont indiqué que, quel que soit le gouvernement et la coalition parlementaire qui sera constituée, la question essentielle est celle de la place des partenaires sociaux et du dialogue social dans les mois et les années à venir, alors même qu’ils ont été ignorés et ont été les grands absents des campagnes présidentielle en 2022 et législative actuelle. Le dialogue social est d’ailleurs absolument nécessaire pour accompagner les quatre vagues de transformation qui vont bouleverser le monde du travail et transformer, créer ou détruire 50 à 80 % des emplois avec l’IA, la transition écologique.
Les questions sont bien celles-ci :
- Notre pays est plombé économiquement par la mauvaise qualité de notre dialogue social : peut-on espérer enfin une transformation réelle et durable de notre modèle de dialogue social et davantage s’inspirer de modèle vertueux de dialogue social étrangers ?
- Dans le nouveau contexte marqué par l’incertitude sociale, économique et politique, pourra-t-on, quel que soit l’exécutif gouverner et réformer la France sans passer par la case dialogue social ? A-t-on besoin de syndicats plus forts et incontournables pour canaliser les mécontentements de ceux qui se sentent floués et pour négocier à l’échelle nationale sur la base d’un meilleur rapport de force est en phase avec une majorité de Français ? Je réponds OUI
- Les mois et les années à venir vont-ils être marqués par une renaissance des syndicats ou au contraire leur nouvel affaiblissement ?
- Avec la multiplication des mouvements sociaux, doit-on craindre une nouvelle crise de type gilets jaunes, annonciatrice d’un déclin continu et définitif des syndicats ou au contraire un retour en France des syndicats historiques qu’ils soient de tradition révolutionnaire ou historique ?
- Un modèle de syndicalisme va-t-il l’emporter sur un autre ? Celui qui s’inscrit dans une logique de confrontation et de luttes, notamment de classes, ou celui qui prône les vertus de la réforme, le pragmatisme et un dialogue social constructif pour obtenir des avancées pour les salariés ?
- Va-t-on tirer les enseignements de la méthode utilisée par le gouvernement pour réformer ? Crise après crise, il est apparu plutôt en réaction et a manqué d’anticipation.
Qu’est-ce qu’on appelle la démocratie sociale ?
C’est un concept que l’on a entendu ces dernières années, notamment à l’occasion du mouvement contre la réforme des retraites et le recul à 64 ans de l’âge légal contre lequel une majorité de Français et un front syndical de nouveau uni se sont élevés contre ce texte. C’est dans ce contexte que le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, avait même parlé de déni de la démocratie sociale lorsque le gouvernement a fait adopter le texte sans Vote, par le 49.3.
Le terme figure même dans notre constitution de 1946 et dans celle de 1958 : « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La loi reconnaît la légitimité des syndicats et la représentativité de certains d’entre eux. Lorsque le concept, sous forme d’idéal, a été présenté au XIXe et au début du XXe siècle, l’idée était de dire que la démocratie politique et représentative était complétée par une démocratie sociale en donnant aux acteurs de la société un rôle de régulation : l’État ne devait pas s’occuper de tout dans l’isolation du pouvoir mais devait consulter et négocier avec les acteurs sociaux, les citoyens réunis dans des associations, syndicats et autres corporations intermédiaires (Partis politiques, collectivités territoriales).
Si juridiquement, un président élu dont la réforme des retraites figurait dans son programme a évidemment une légitimité juridique et légale pour faire adopter un texte contre lequel tous les syndicats et une forte majorité de Français s’élèvent… se pose néanmoins une problématique politique pour comprendre la phrase de Laurent Berger.
Lorsqu’on fait adopter une réforme sans vote grâce aux 49.3 à l’Assemblée nationale, qui cristallise de tels mécontentements (92 % des actifs), exprimés pendant des mois dans des manifestations de grande ampleur et que tous les syndicats se sont retrouvés dans un front uni pour s’y opposer, on ne sert pas la cohésion sociale, On ne souhaite pas favoriser dans le pays un dialogue social constructif et de qualité, plus mature avec des syndicats réformistes.
On ne souhaite pas renforcer les syndicats et la culture du compromis qui pourtant prévaut chez nos voisins européens les plus performant sur le plan économique et social. Pour Laurent Berger, il y a même un mépris de la démocratie sociale, les syndicats et une majorité de Français se sont sentis floués, bafoués. Il est évident que cette réforme à rebondissements et la méthode employée a laissé des traces… les Français n’ont pas oublié et les dernières élections ont été l’occasion de le rappeler.
Un dialogue social apaisé, constructif, de qualité est un vrai indicateur de performance économique, un « véritable carburant de l’économie » mais il ne peut s’épanouir qu’à travers des accords « gagnant-gagnant » comme ceux (une cinquantaine) que j’ai signés à la région et à Suresnes avec une culture forte du compromis. L’objectif est toujours de faire un pas l’un vers l’autre pour trouver un bon accord, satisfaisant pour toutes les parties : si on arrive à une table de négociation sans rien vouloir bouger ou très peu, on ne parviendra à aucun accord ou à un mauvais accord qui nourrira la rancune et la revanche.
Je le rappelle : dans le top 10 du classement de Davos des pays qui connaissent la meilleure compétitivité, on retrouve les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, la Norvège, le Danemark, la Finlande. Et ces pays sont aussi classer parmi les 10 meilleurs en matière de dialogue social. Savez-vous où se trouve la France ? 17e pour sa compétitivité et 92e pour la qualité de ses relations avec les partenaires sociaux.
Dans ce contexte, j’ose dire aussi, qu’il faut à notre pays les syndicats les plus forts et représentatifs possibles. Miser sur la faiblesse syndicale est en fait un très mauvais calcul ! Je l’ai constaté en Suède au Danemark en Allemagne et aux Pays-Bas dans cette mission comme vice-présidente de la région et j’ai vu des organisations d’employeurs, un patronat qui se félicitent d’avoir des syndicats les plus forts et les plus représentatifs possible ! Je suis allée sur place et j’ai vu que là-bas, la paix sociale (on a du mal à l’imaginer en France, avec un pays comme la Suède où il n’y a que trois conflits par an) n’est pas un vain mot : c’est un objectif que se sont fixé les employeurs mis aussi les syndicats, ce qui implique la recherche constante du compromis et le maintien de la modèle économique et social durable et prospère, parce que sans compétitivité, il n’y a pas de redistribution sociale juste et équitable !
Gilles de Robien nous a rappelé à nos Rencontres du 18 juin dernier la phrase de Nixon : « il faut toujours être prêt à négocier mais ne jamais négocier sans être prêt ». Et je reprends à mon compte ses 10 commandements pour favoriser un dialogue social constructif et apaisé :
- Une bonne négo tu anticiperas sans attendre le conflit paralysant
- Avant rencontre tu communiqueras tes objectifs abondamment
- La propagande tu excluras pour informer loyalement
- Aux rencontres tu arriveras les poches pleines d’ouverture
- Avec la base tu échangeras pour être compris humainement
- Sur la confiance tu baseras tes échanges continuellement
- Sincérité tu maintiendras dans tes propos rigoureusement
- À la place de l’autre tu te mettras pour le comprendre plus aisément (Le plus important)
- Capacité d’écoute tu développeras pour chaque partenaire équitablement
- La bonne foi de l’autre toujours tu supposeras dans les tensions pareillement
L’Assemblée nationale comporte trois blocs sans majorité absolue. Pour former un gouvernement, ces blocs vont être contraints de parvenir des compromis. Est-ce que la France doit s’approprier la culture du compromis qui existe dans d’autres états européens ?
Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai dit dans mon analyse des résultats et de l’issue à trouver, mais sur la question du compromis, je l’ai dit, il a guidé toute mon action, a permis la conclusion d’une cinquantaine d’accords “gagnant-gagnant” et constitue la condition sine qua non d’un dialogue social de qualité et constructif au service du progrès social et de l’économie.
Le compromis, n’étant jamais la compromission, permet de trouver une issue favorable pour toutes les parties au service de la réussite d’une organisation ou d’un pays. Comme je l’ai dit, les institutions de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Belgique sont très différentes des nôtres avec un autre mode de gestion : aujourd’hui, nous avons basculé dans la IVe République avec les institutions de la Ve qui favorisent avant tout la stabilité du gouvernement avec le fait majoritaire. Souhaitons pour le pays qui a sombré dans une grande inquiétude, avec une absence de perspectives, dans un contexte économique, social, très difficile, qu’un nom, sans doute à l’extérieur de l’Assemblée nationale, puisse faire consensus et que des majorités d’idées sur la base de compromis, selon les textes, puissent être trouvées, à défaut de coalition bricolées que les Français et les groupes à l’Assemblée ne souhaitent pas. Attention au bricolage, voire au tripatouillage qui ne tiennent pas.
Dans le monde du travail, quel sujet souhaitez-vous voir inscrit à l’agenda du prochain gouvernement ? (Hausse du SMIC ? Travail des femmes ? Semaine de quatre jours ?)
Je souhaite surtout qu’on change radicalement de regard sur le dialogue social, qu’on reconnaisse sa nécessité absolue et vertueuse au service de l’emploi, de notre économie, de notre productivité et du progrès social.
Comme je l’ai dit est illustré à plusieurs reprises par des exemples concrets et l’exemple de nos voisins des pays d’Europe du Nord, le dialogue social réussi, basé sur le compromis, n’est pas une option que l’on peut écarter (comme cela a été fait) mais le seul avenir possible pour apaiser la société, renouer avec laquelle ils ont social qui seul permettra de relever les défis économiques très important qui sont devant nous. Il nous faut changer de paradigme.
Souvent objet de fantasmes et de peur irrationnelle, le dialogue social si malmené, oublié ces dernières années doit être placé au contraire aujourd’hui au cœur de toutes les politiques et projets parce qu’il sera un fantastique outil de compétitivité pour notre économie, s’il est conduit en bonne intelligence, avec respect dans l’écoute mutuelle : ce sera l’enjeu de la fin de ce quinquennat, du nouveau gouvernement et pour les nouveaux parlementaires.
Il faudrait ainsi répondre dans ce cadre la principale récupération des Français : la question du pouvoir d’achat considéré comme prioritaire à 86 % des représentants du personnel et 77 % des salariés (étude IFOP janvier 2024).Et si hausse du SMIC il doit y avoir, cela ne peut se faire sans l’ensemble des partenaires sociaux, syndicats de salariés et organisations patronales, avec la CPME, le Medef, les très petites entreprises et dans un équilibre économique à trouver avec le soutien de l’État sans doute.
La question du nouveau rapport au travail des salariés et leurs nouvelles attentes (semaine de quatre jours notamment) se pose aussi : sont-elles compatibles avec une compétitivité accrue ?
La crise sanitaire a influencé la perception du travail et les attentes vis-à-vis des employeurs, notamment celle des nouvelles générations : selon la Fondation Jean Jaurès, le travail était central pour 60 % des actifs français alors qu’aujourd’hui ils ne sont plus que 20 % à le penser. Les nouvelles générations ont pris de la distance par rapport au travail, il recherche avant tout l’épanouissement, du sens et travailler dans une entreprise en phase avec leurs valeurs : défense de l’environnement, égalité homme femme en tête. 40 % choisis des entreprises qui s’inscrivent dans leur propre système de valeurs et qui leur permettent de s’épanouir. La qualité de vie au travail et de ce point de vue essentiel est prioritaire, même devant le salaire et les dispositifs que j’ai mise en place comme les activités sportives et culturelles sur le temps de travail, l’accueil des chiens au bureau, un management moins hiérarchique, des espaces innovants, ouverts, confortables apparaissent particulièrement attractifs.
La semaine de quatre jours s’inscrit aussi dans ce cadre, et cette nouvelle organisation du travail est plébiscitée par plus de 80 % des 18 34 ans. Des chiffres très élevés, tous français confondu puisque deux Français sur trois votent pour la semaine de quatre jours selon un sondage pour le Point en 2023. Mais comme pour le télétravail, la semaine de quatre jours peut-être le pire comme le meilleur : elle ne doit pas être imposé de façon unilatérale et de la même façon pour tout ce qui doit être négocié entreprise par entreprise, au plus près des réalités de terrain. Au-delà de trois jours, le télétravail peut être source de démotivation, déconnexion, perte du lien social, atteinte à la santé mentale.
Pour la semaine de quatre jours, cela n’est pas possible pour tout le monde et tous les postes : attention à ne pas créer de nouvelles fractures encore, avec ceux qui, comme pour le télétravail, n’y accéderont pas, attention à ce que cela ne reste pas une fiction, inscrit juste sur le papier avec des cadres sur objectifs qui de toute façon travailleront le cinquième jour, le matin comme le soir… Et attention pour les autres aux journées à rallonge et à la charge de travail qui restera identique si on n’embauche pas, entraînant là encore une forte pression et risques de burnout. Tout cela doit être négocié avec les partenaires sociaux, tout comme les conséquences de l’intelligence artificielle et son impact sur le travail des salariés, la transformation des fonctions du travail, les risques de destruction d’emplois.
La question de l’égalité professionnelle femme homme et des violences faites aux femmes, pourtant « grande cause » des deux quinquennats, est très loin d’être réglée : pire, on ne constate pas de réelle amélioration avec un nombre de féminicides qui ne baisse pas, au contraire selon les associations, avec à chaque fois le même scénario de victimes qui avait toutes déposé plainte (l’une même 24 fois). Les mesures mises en place avec l’index de l’égalité professionnelle dans les entreprises au Grenelle des violences conjugales constituent des avancées mais ne sont pas encore à la hauteur de l’urgence sociétale que constitue ces problématiques.
Pour prendre un seul exemple sur les violences conjugales, je pense qu’il fallait aller bien plus loin que les dispositifs annoncés, en prenant exemple sur les pays les plus vertueux et innovant comme l’Espagne. Ce pays a fait de la lutte contre les violences conjugales un combat prioritaire depuis les années 2000 et a pris des mesures fortes et volontariste ! C’est l’exemple même de mon message sur l’exemplarité et l’incarnation au sommet de la hiérarchie !
Sur ce sujet, il reste tant à faire en France… !
- Mieux former les policiers pour la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales, en systématisant le dépôt de plainte, puisqu’aujourd’hui, les policiers se bornent trop souvent, par facilité, à orienter les plaignantes vers la main courante ! En Espagne, le nombre de plaintes est de 160 000, soit quatre fois plus qu’en France, pour une population de 20 millions d’habitants en moins. Cela donne à réfléchir…
- Augmenter le nombre d’ordonnance de protections (Il y en a 1300 parents contre 20 000 en Espagne) et réduire les délais ! Aujourd’hui il se passe au minimum un mois entre le moment où le magistrat est saisi est celui où il ordonne la protection. Il faudrait réduire ce délai à trois jours maximum comme en Espagne !
- Suspendre l’autorité parental en cas de violences conjugales et non pas seulement en cas de féminicides !
- Sur le bracelet anti rapprochement, faire en sorte comme en Espagne, que le franchissement du rayon d’interdiction par l’homme déclenche l’arrivée des policiers dans les cinq minutes ! En Espagne, depuis que les hommes portent ce type de bracelet, aucune femme porteuse d’une balise n’a été tué par son ex-compagnon !
C’est un exemple parmi d’autres qui montre que le gouvernement, à mon sens, ne va pas encore assez loin dans la lutte contre les violences conjugales qui constituent au XXIe siècle dans notre pays une véritable honte ! Évidemment, les questions liées à la santé, à l’hôpital, aux déserts médicaux, à l’autonomie ou la dépendance des personnes âgées, aux services publics en perdition et l’aménagement des territoires sont aussi prioritaires pour répondre à la fracture sociale et territoriale.
Même si le RN n’a pas gagné les élections, y’a-t-il un risque de le voir arriver au pouvoir en 2027 ?
Oui, même s’il n’a pas gagné les élections en effet, il est arrivé largement en tête aux européennes avec plus de 31 % des voix, loin devant la candidate présidentielle, en tête au premier tour des législatives ici 10 millions de voix au deuxième tour et même si le barrage du front républicain a encore fonctionné, il est arrivé troisième, progressant Néanmoins en nombre de députés de 89 à 143 avec ses alliés.
Alors ne faisons pas comme si de rien n’était, sans entendre ce nouveau et très fort signal, la colère, le mécontentement : les messages adressés à travers ce vote s’expriment cette fois sur tout le territoire, hors grande métropole (sauf Marseille), comme pour les gilets jaunes et qui traduisent aussi un désarroi, un sentiment d’abandon de ceux qui se sont sentis floués, bafoués (voir méprisés) et pas entendu par l’exécutif. Et de ce point de vue, la crise des gilets jaunes et la façon dont elle a été gérée, le mouvement très fort des retraites et le camouflé opposé avec l’article 49.3 au front syndical uni et à une forte majorité de citoyens a laissé des traces.
Il est temps d’apaiser ce pays, aujourd’hui divisée, fracturée, profondément cliver et renouer avec un vrai dialogue social, la cohésion sociale et nationale en associant tous les corps intermédiaires, relais indispensables nécessaires pour assurer aussi le respect de la démocratie sociale et reconstruire ce lien social dont nous avons tant besoin. Sans aborder sérieusement les thèmes de l’immigration, la sécurité, la laïcité aussi… Alors effectivement, tout sera possible avec une élection bien différente cette fois en 2027.
Propos recueillis par Loïc Barrière